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Débat – Robotique et Intelligence artificielle (IA) : des technologies au service de la SST ?

Avec l’apparition de ChatGPT courant 2023, l’intelligence artificielle (IA) a fait une entrée très remarquée auprès du grand public. Cette technologie qui mobilise énormément de moyens et d’investissement aura de multiples impacts – positifs ou négatifs – dans la sphère professionnelle. Demain, la robotique guidée par intelligence artificielle sera certainement une réalité dans nombre d’entreprises. Dans cette perspective, les acteurs de la santé et de la sécurité au travail (SST) doivent notamment évaluer les risques que peuvent faire peser ces dispositifs sur la santé physique et mentale des travailleurs avec l’objectif d’émettre des préconisations de prévention.

Quels sont les risques inhérents à ces technologies ? Comment les prévenir ? Et comment la SST va t-elle évoluer à l’avenir ? Pour le meilleur, ou pour le pire ?

Yann Bellon

La technologie ? Ni bonne, ni mauvaise !

Virginie Govaere

Virginie Govaere, responsable d’études à l’INRS

Il faut d’abord dresser un postulat de départ : peu d’entreprises en France ont une véritable collaboration entre l’homme et la machine. La plupart se trouvent dans un registre de robotique classique où le robot partage l’espace avec l’opérateur sans collaborer avec ce dernier. Des études de terrain l’ont montré : lorsque la robotique collaborative existe, cette organisation du travail modifie les processus de production des travailleurs, mais n’entraîne pas d’amélioration en termes de productivité, ou de SST. Choc, écrasement, vibration, RPS… au final, la machine n’amène pas moins de risques, mais un changement de leur nature. La technologie associant robotique et intelligence artificielle est en phase d’expérimentation. Et l’intégration de robots dotés d’IA dans le domaine de la SST n’est pas à l’ordre du jour. Une chose est claire : il serait faux d’imaginer qu’une technologie comme l’IA, puisse à elle seule entraîner une révolution de la SST. La technologie n’est jamais bonne ou mauvaise, mais doit d’abord s’inscrire dans un environnement et une organisation de travail spécifique prenant compte des risques et des démarches de prévention à mettre en place au profit de l’humain. L’un des travers à l’avenir serait de donner le pouvoir de décision à la machine. Avec l’émergence de l’IA qui pourrait à terme renforcer l’automatisation des robots, le risque serait de laisser à la machine le pouvoir de gérer par exemple l’organisation professionnelle d’une entreprise et de ses travailleurs. Le management algorithmique (lorsque la machine fournit à l’opérateur, par exemple par un guidage vocal, des instructions sur les opérations à faire, l’ordre dans lequel il faut les effectuer, et la cadence à suivre) est problématique. En effet, lorsque le travailleur reçoit ces informations sans autre type d’interaction, il y a un risque de RPS (risques psychosociaux, ndlr). C’est pourquoi il est essentiel que, comme pour n’importe quelle machine, les concepteurs utilisant de l’IA intègrent les problématiques de SST dès leur conception.

Des avancées et des bémols

Sabrina Jocelyn

Sabrina Jocelyn, chercheuse prévention des risques chimiques de l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail (IRSST)

Dans le domaine de la robotique industrielle, l’IA représente une avancée pour la SST, notamment parce qu’elle permet de traiter massivement des données
pouvant être utilisées dans la prévention des risques. il est par exemple possible de réaliser une maintenance prédictive et d’anticiper une défaillance. Pour autant, comme toute technologie, la robotique et l’IA peuvent être perverties. En matière de prévention des risques, le premier principe est de supprimer le danger ou l’exposition à celui-ci. avec l’utilisation des robots qui permettent de gagner en productivité en automatisant les tâches, l’idéal serait de supprimer l’interaction avec l’humain pour que celui-ci ne soit plus exposé aux risques. Pour autant, on le voit : la mise en œuvre des premiers robots collaboratifs à partir de 2010 n’a pas totalement extrait les travailleurs de l’espace de travail, d’où la nécessité d’adapter cet espace en terme d’ergonomie. il faut aussi prévoir une cadence de production adaptée afin de ne pas risquer d’entrainer de rPS. L’adhésion et l’implication des employeurs et salariés dans l’optique d’intégration de robots dotés d’IA sont aussi essentielles. Pour tout projet, l’étape clé est l’analyse des besoins. Il convient également de déterminer le partage des opérations entre l’humain et le robot. Lors des premiers projets de recherche et études de cas menées à l’IRSST, nous pensions au départ que le robot serait dévolu à effectuer les tâches les plus difficiles et complexes ; mais nos équipes ont constaté que les travailleurs concernés voulaient garder la main sur ces activités qui, selon eux, avaient le plus de sens dans l’exercice de leur métier. Pour établir la confiance envers la robotique collaborative, les employeurs doivent prendre le temps nécessaire qui permettra aux employés de se familiariser à la collaboration. en gardant à l’esprit qu’une machine dotée d’IA est un outil d’aide à la décision. C’est l’humain qui doit garder le contrôle car il est seul à même de prendre la décision.

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