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Transidentité au travail : quelles bonnes pratiques pour les managers ?

Encore rarissime il y a dix ans, les cas de personnes déclarant à leur employeur qu’elles entament une transition de genre se multiplient. Comment dès lors l’entreprise doit-elles agir vis à vis des personnes en transition, et de l’ensemble du collectif ?

La plupart des personnes entamant une transition souhaitent une transition « binaire » d’homme vers femme. D’autres ne veulent être identifiées de manière stable, ni homme, ni femme, ou les deux à la fois, ou alternativement. Ce sont des personnes dites « non binaires ».

DES QUESTIONS INÉDITES

Ce n’est que depuis peu que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ne considère plus la transidentité comme une maladie mentale.

De plus, le genre légal, bien que s’appelant toujours « sexe » sur les papiers d’identité français, a été complètement déconnecté de la réalité biologique. Depuis la loi du 18 novembre 2016, pour obtenir une modification de la mention du « sexe », masculin ou féminin, à l’état civil, il n’est plus nécessaire de faire valoir au tribunal le moindre changement physique, mais de prouver la réussite d’une performance sociale : être reconnu.e par les autres comme homme ou femme. Il faut noter à ce stade la grande différence entre personnes trans binaires et non binaires. Les premières s’inscrivent dans un cadre légal et langagier existant. Pour satisfaire les secondes, il faudrait créer de nouveaux genres légaux, et une évolution sensible du langage.

Cela soulève des questions inédites en matière de gestion des RH. On navigue entre deux contraintes :

  • respecter et ne pas blesser la personne trans, au risque d’être condamné pour discrimination. Mais la loi ne dit pas à partir de quel moment, en ne l’appelant pas au féminin, on discrimine une personne visiblement homme qui a annoncé qu’il se sent femme… Le défenseur des droits lui même ne peut faire que des « recommandations ». C’est encore plus flou pour une personne ne voulant pas être appelée par « il » ou par « elle » puisque les pronoms alternatifs comme « iel » ou « them » n’ont pas d’existence légale. Il s’agit alors pour l’employeur de pouvoir démontrer qu’il a fait « de son mieux » pour respecter la personne. Aucune jurisprudence n’est encore venue préciser les conduites à tenir.
  • La seconde contrainte résulte du fait que le cadre du travail est spécifique : des personnes, douées de discernement, sont liées volontairement et contractuellement pour créer de la valeur. L’employeur doit créer les meilleures conditions de travail possibles pour toutes et tous. Il ne suffit donc pas à l’employeur de « prendre soin » de la personne trans, mais de prendre soin également de tout le collectif de travail, au sein duquel des personnes peuvent être perturbées, voir sincèrement choquées, par la modification visuelle, sonore et comportementale d’un.e collègue.

Anne-Gaëlle Duvochel
Acheteuse de programmes à TF1 puis DRH à France 3 avant sa transition de genre, elle fut présidente du « Groupe d’Études sur la Transidentité » et vice-présidente de l’Autre Cercle. Au sein du pôle Conseil et Formation, elle accompagne notamment les employeurs face à une transition de genre dans leurs équipes (formation, médiation). Auteure et comédienne du spectacle « Et il devint elle – Dans la peau de la panthère » (Avignon off 2022).

L’employeur doit créer les meilleures conditions de travail pour toutes et tous.

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QUELLES BONNES PRATIQUES ?

Il ne peut y avoir de mode d’emploi précis, mais des lignes directrices que le lecteur trouvera notamment dans le guide publié par L’Autre Cercle et téléchargeable gratuitement.

Les principaux enseignements :

  • affirmer les valeurs de l’entreprise avant même une situation de transition. Cette affirmation peut se trouver dans des déclarations de dirigeants, ou se proclamer avec encore plus de force en signant publiquement une charte, telle que celle de L’Autre Cercle ;
  • positiver et dédramatiser en adoptant une posture bienveillante. Une des difficultés est que le changement d’apparence, de voix et de comportement de la personne, qui va rendre crédible et légitimer sa demande aux yeux des autres, bien qu’elle n’ait pas encore changé d’état civil, ne se fait pas du jour au lendemain… Il faut donc mettre au point avec la personne trans un plan « d’éclosion » de sa nouvelle identité et un moment de bascule, où la personne fera l’annonce de sa situation et où la direction la soutiendra officiellement. L’entreprise peut se faire accompagner dans cette démarche par L’Autre Cercle ;
  • obtenir le consensus du collectif de travail : faire venir un.e expert.e de ces questions pour une séance d’explications et d’échanges est un bon moyen de montrer que l’on se préoccupe aussi des collègues et contacts de la personne trans. Il ne leur est pas dénié le droit de s’interroger, de ressentir de la gêne… Autant de questions qui doivent se résoudre dans le dialogue. Ce n’est qu’ensuite que des comportements négatifs, voire agressifs envers la personne trans, pourront être sanctionnés ;

Il ne suffit pas à l’employeur de “ prendre soin ” de la personne trans, mais de prendre soin également de tout le collectif de travail, au sein duquel des personnes peuvent être perturbées, voir sincèrement choquées, par la modification visuelle, sonore et comportementale d’un.e collègue.

  • mettre en place ce qui découle logiquement de la reconnaissance de la nouvelle identité interne de la personne : civilité, prénom, vêtements de travail… mais le numéro de sécurité sociale, ou la qualification homme ou femme dans le bilan social ne peuvent être modifiés tant que la justice n’a pas accordé un nouvel état civil (le témoignage de l’employeur peut faire avancer le dossier en ce sens).

Des questions difficiles subsistent :

  • la personne ne pourra pas faire de déplacements nécessitant un contrôle d’identité, ce qui peut être handicapant professionnellement ;
  • la question de l’accès aux espaces d’intimité (toilettes, vestiaires…) reste délicate puisque la loi impose des toilettes genrées (selon le sexe légal) séparées. L’ajout de toilettes non genrées est une solution ;
  • pour les personnes s’affirmant non binaires, leurs revendications sont actuellement peu exprimées. C’est par la persuasion et la compréhension du collectif de travail qu’elles se feront respecter.

Au final, soyons optimistes : la plupart des parcours de transidentité dans des organisations matures se passent bien, et l’employeur ne peut que constater que le collectif a progressé, et dans ses valeurs et dans son travail.

Texte : Anne-Gaëlle Duvochel

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