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L’entretien avec Vincent Baud, auteur de “La QVT en finir avec les conneries”

Fort de plusieurs expériences sur le terrain pendant plus de 20 ans en termes de management de la santé au travail, Vincent Baud a créé le cabinet MASTER qui propose une démarche de prévention globale, participative et pluridisciplinaire. Auteur de l’ouvrage intitulé « La QVT en finir avec les conneries » paru fin 2022, il aborde ici des questions au cœur de la SST et de ses débats : sa complexité, ses enjeux, ses difficultés de mise en œuvre, ses chantiers prioritaires, et les préconisations et solutions pour que la SST soit au service de tous les travailleurs.

Propos recueillis par Yann Bellon

Inscrire l’écoute comme dixième principe général de prévention ”

Vincent Baud

Comment définir la santé au travail et son impact sur les entreprises❓

VB : La santé au travail est définie par l’OMS comme un état de bien-être « physique, mental et social ». C’est ce qui a forgé la responsabilité de l’employeur comme devant protéger la santé « physique et mentale » des travailleurs. Or, elle est trop souvent perçue comme un frein au développement des entreprises. Dans une économie mondialisée dont le « maître étalon » est la croissance et la productivité immédiate, tout ce qui ralentit ou conditionne les décisions prises en ce sens, comme l’intégration à la source de mesures de prévention, est plus vu comme une menace qu’une opportunité. Les entreprises ont ainsi pris ce sujet de façon défensive, en le résumant à la composante qui représentait pour elles le plus de risques financiers et juridiques : la santé physique, par les accidents du travail. Voilà pourquoi les démarches sécurité, laissant la santé mentale de côté, sont devenues obsolètes. Quand vous dites à des entreprises qu’agir sur la santé physique et mentale des travailleurs leur donnera plus de performance pour demain, ce qui est démontré, alors qu’elles ne sont challengées que sur leur rentabilité immédiate, vous vous opposez frontalement à leur culture managériale. C’est le pot de terre contre le pot de fer.

N’y-a-t-il pas également un manque d’adhésion des travailleurs pour la SST❓

VB : J’ai souvent été confronté à cette question : pourquoi la SST ne mobilise pas plus les salariés, alors qu’ils en sont les premiers bénéficiaires ? En fait, l’écrasante majorité est attachée à bien faire son travail. Ainsi, quand on comprend que les actes engagés au service des clients seront toujours plus forts et reconnus que ceux liés à la santé au travail, le choix est vite fait. On peut scander du soir au matin « votre santé est notre priorité », quand on laisse franchir une consigne de santé au travail pour servir le client, on démontre que ce n’est pas une priorité. Si la santé au travail était une priorité, les questions d’organisation du travail, de charge de travail, ou des relations professionnelles dégradées ne seraient pas mises de côté telles qu’elles le sont aujourd’hui. Voilà pourquoi tant de salariés disent « je vois ce que la SST me demande, mais je ne vois pas ce qu’elle m’apporte ». Quand ils entendent des injonctions paradoxales du type « dépêche-toi » d’un côté et « ne cours pas » de l’autre, la réception du message est claire : « l’entreprise cherche plus à se protéger qu’à me protéger ». Prenons l’exemple d’un livreur : donnez-lui des délais de livraison incompatibles avec le temps nécessaire pour se garer sur une place libre, et interdisez-lui de stationner sur la chaussée pour sa sécurité. Que va-t-il se passer ? Il va stationner « en sauvage », et tout ira bien tant que le client sera livré. En revanche s’il se fait renverser ou agresser, le non-respect de ces consignes lui sera reproché. C’est « l’hyper individualisation du risque » que je dénonce.

Comment faire pour que la SST soit mieux considérée et devienne l’affaire de tous❓

VB : Il faut que la SST réponde aux problèmes rencontrés par chaque travailleur pour bien faire et bien vivre son travail. Tout comme on a su agir sur l’environnement technique, par la sécurisation des machines, des process ou le port des EPI, il faut tout autant agir sur les composantes subjectives des situations de travail : l’organisation, les relations, la santé mentale… Or, pour y arriver, il faut non pas observer, mais écouter les salariés. Et c’est là que le bât blesse : d’une part, le management est encore très descendant, et d’autre part, dès qu’une personne exprime sa perception sur ces sujets, ce sera « soumis à caution ». Si elle évoque trop de charge de travail par exemple, on la renverra souvent à son manque d’organisation. Voilà pourquoi les démarches actuelles ne font plus sens ni efficience.

Il semble pourtant que des progrès aient été réalisés en matière de santé mentale avec la prise en compte du burn-out, des risques psychosociaux (RPS)…

VB : On en parle plus, et c’est bien. Mais on agit peu concrètement, ou mal. Après le drame des suicides professionnels en 2009, les entreprises ne pouvaient plus nier l’impact possible du travail sur la santé mentale. Dès lors, des plans d’action contre les RPS ont vu le jour ; cependant ils n’ont pas agi en prévention « primaire » mais surtout formé les travailleurs, installé des lignes d’écoute et proposé une offre « QVT » composée de babyfoot, de corbeilles de fruit, de séances de relaxation… pour compenser les effets du travail sur leur santé plutôt que de les prévenir. Voilà comment la QVT est devenu le « cache-misère » des RPS.

La santé au travail recouvre de nombreux acronymes : SST, RPS, QVT. Cette diversité sert-elle sa cause❓

VB : Ce qui dessert sa cause, c’est d’utiliser des concepts qui n’ont pas de définition partagée. Comment accepter des définitions différentes des RPS confondant risques et troubles psychosociaux ? Comment accepter que la définition de la QVT soit celle de la prévention des risques professionnels : « tout ce qui améliore les conditions de travail » alors même qu’elle revendique le fait de s’en démarquer ? On ne peut pas faire l’économie de sa définition propre en rajoutant juste une lettre à son sigle : il faut réhabiliter ce concept plutôt que le rhabiller. C’est une bonne partie du travail auquel je me suis attelé, et qui a été repris dans le guide « Entreprises mondiales et bien-être au travail » édité avec le soutien de l’OIT.

Quelles sont vos préconisations pour l’avenir❓

VB : D’abord, mettre fin à la cacophonie des concepts, en adoptant des définitions harmonisées. Ensuite, enseigner dans les écoles de prévention et de management cette approche globale de la santé et des situations de travail comme un levier de performance. Il faut aussi aider les entreprises à passer de la sécurité à la santé au travail avec un référentiel éprouvé. Pour cela, l’écoute des salariés doit en être une composante incontournable. Voilà pourquoi j’ai proposé de l’inscrire comme dixième principe général de prévention, ce qui a été repris dans les préconisations à la fois des assises du travail et du CESE. Et pour ne pas rester à attendre que ces changements se produisent, j’ai décidé de lancer un « tour de France de la QVT » afin de débattre de ces enjeux et perspectives avec toute personne qui souhaite l’organiser dans sa ville ou sa région. Avis aux volontaires !

Débutant sa carrière comme ouvrier en distillerie, Vincent Baud est ensuite ingénieur brasseur, chef d’équipe, puis directeur d’usine. Une expérience qui l’amène à s’intéresser au management participatif par l’écoute. Enseignant le management participatif depuis 25 ans à l’université d’Aix-Marseille, Vincent Baud a rejoint en 2000 la Carsat Sud Est où il a dirigé les sections de contrôle et de formation tout en étant correspondant national des enseignes dans leur politique santé au travail. En 2010, il crée le cabinet Master qui repose sur la méthode du même nom.

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