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Les déplacements professionnels : des trajets à risques

Les salariés peuvent être amenés à utiliser un moyen de transport individuel (voiture, moto, bicyclette, trottinette…) pour se rendre sur leur lieu de travail et/ou pour exercer leur fonction. Ces déplacements échappent aux contrôles « physiques » de l’employeur, qui ne peut pas, ou difficilement,vérifier le parcours et le respect du code de la route. Pour autant, sa responsabilité peut être engagée.

Quels risques encourt l’employeur en cas d’accident de la circulation ? La question mérite d’autant plus d’être posée eu égard aux derniers chiffres publiés par la Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM) qui recense 99 183 accidents de trajet en 2018 (hors accident de travail).

Deux cas de figure

Il faut distinguer deux situations. Tout d’abord, le salarié utilise son véhicule personnel ou un véhicule loué ou co-partagé pour se rendre sur son lieu de travail.

Selon l’article L. 3121-4 du Code du travail, les temps de trajet ne sont pas considérés comme du temps de travail. Le salarié dispose d’une liberté totale dans le choix de son moyen de se déplacer ; cette période échappe au contrôle de l’employeur et donc à sa responsabilité.

Il semble que l’employeur ne peut pas imposer au salarié un mode de transport. Ainsi, il a été jugé que le refus du salarié d’accepter le ramassage organisé par l’employeur ne constitue pas un cas de force majeure permettant la rupture anticipée d’un CDD (Cass. Soc. 17 mars 2010, n°08-45.479).

L’employeur peut uniquement contrôler l’utilisation effective du moyen de transport dont il assume tout ou partie du remboursement.

Il faut toutefois réserver l’hypothèse d’un salarié dont le comportement pourrait laisser penser qu’il n’est pas en état de conduire. L’employeur peut-il l’empêcher de reprendre son véhicule pour rentrer chez lui ? 

Tenu à une obligation d’assurer la sécurité de ses salariés, l’employeur aura intérêt à organiser le retour du salarié chez lui (en lui organisant le trajet vers son domicile en taxi par exemple). 

Dans la seconde situation, le salarié utilise son véhicule ou un véhicule fourni par l’entreprise pour exercer sa fonction.

L’article L. 4121-1 du Code du travail pose le principe et une obligation pour l’employeur d’assurer la santé et la sécurité physique de ses salariés.

Tout matériel remis par l’employeur pour l’exécution de sa fonction doit répondre aux normes de conformité, être en état de fonctionnement et ne présenter aucun danger pour la santé.

Par ailleurs, l’employeur doit former le salarié à l’utilisation de ce matériel et rappeler les règles de sécurité, notamment, par exemple en rappelant :

  • l’obligation de porter le casque et les gants
  • de ne pas utiliser le téléphone en conduisant
  • l’interdiction éventuelle du co-voiturage.

Sur ce dernier point, la Cour d’appel de Rennes, par un arrêt du 31 août 2018 a jugé fondé le licenciement d’un salarié qui avait utilisé de façon régulière son véhicule de fonction à des fins lucratives, en pratiquant le covoiturage, et ce sans autorisation de son employeur.

La Cour estime que « le fait de pratiquer le co-voiturage avec un véhicule de fonction à l’insu de son employeur, en l’exposant à un risque compte tenu de l’absence de couverture de cette activité par l’assureur, constitue une faute justifiant le licenciement. »

Les juges sont toutefois divisés sur les conséquences en matière disciplinaire, d’une telle pratique (Cour d’appel de Riom, 13 septembre 2016). Il va donc de l’intérêt de l’employeur de clarifier la situation.

L’employeur doit s’assurer que le salarié est en possession d’un permis de conduire (sans pouvoir toutefois lui demander le nombre de points), et lui demander de signaler toute modification de situation, tel qu’un retrait ou une suspension.

Si le salarié utilise son véhicule personnel pour les besoins de son activité, l’employeur doit vérifier que le salarié a souscrit une assurance responsabilité civile adéquate.

Formation, prévention, et information

Globalement, la formation, la prévention et l’information permettront à l’employeur de démontrer qu’il a mis en œuvre les moyens nécessaires pour assurer la sécurité des salariés amenés à utiliser un véhicule dans l’exercice de leur fonction.

Les formations, mais aussi le règlement intérieur, les chartes ou codes de bonne conduite, sont des outils que l’employeur peut utiliser dans ce cadre.

Le recours au médecin du travail pour s’assurer que le salarié est toujours en capacité de conduire peut et doit également être utilisé par l’employeur.

En cas d’accident de la circulation ou plus généralement en cas d’infraction routière, rappelons qu’aux termes de l’article L. 121-1 prévoit : « Le conducteur d’un véhicule est responsable pénalement des infractions commises par lui dans la conduite dudit véhicule. Toutefois, lorsque le conducteur a agi en qualité de préposé, le tribunal pourra, compte tenu des circonstances de fait et des conditions de travail de l’intéressé, décider que le paiement des amendes de police prononcées en vertu du présent code sera, en totalité ou en partie, à la charge du commettant si celui-ci a été cité à l’audience. »

Accident du travail ou accident de trajet ?

Si l’accident intervient sur le trajet domicile / travail, il s’agira pour la sécurité sociale d’un accident du travail, mais au regard du droit du travail et vis-à-vis de l’employeur, il s’agira d’un accident de trajet.

La différence est fondamentale en termes de protection du salarié par rapport à un licenciement et en termes de responsabilité de l’entreprise : la faute inexcusable de l’employeur peut être engagée en cas d’accident du travail mais pas en cas d’accident de trajet.

Si l’accident intervient pendant l’exécution du contrat de travail, il sera alors qualifié d’accident du travail.

Si l’employeur a commis une faute, notamment en mettant à disposition du salarié un véhicule défectueux, il engagera alors sa responsabilité sur le fondement de la faute inexcusable, voire sur le plan pénal.

Enfin vis-à-vis des victimes du dommage causé par l’accident, l’article 1242 du Code civil prévoit que les commettants (employeurs) sont responsables des actes de leurs préposés (salariés) commis dans le cadre de leurs fonctions.

Les déplacements professionnels, de par les risques encourus par le salarié et les tiers, méritent une attention particulière.

Rappelons la loi d’orientation des mobilités qui met l’accent sur le développement des transports alternatifs pour les déplacements domicile-travail, dans le cadre d’un objectif de « décarbonation » complète du secteur des transports terrestres d’ici à 2050 (L. n° 2019-1428, 24 décembre 2019, art. 82). Cette loi impose aux entreprises d’au moins 50 salariés d’engager des négociations portant sur l’amélioration de la mobilité des salariés entre leur lieu de résidence habituelle et leur lieu de travail.

Maître Martine Riou 

Avocate associée au sein du cabinet Coblence avocats et spécialisée en droit social, Martine Riou conseille et assiste au quotidien des entreprises et groupes issus de secteurs d’activités variés sur le volet social et RH de leurs différents projets. Elle les représente également devant l’ensemble des juridictions.

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